11 novembre 1921 à Hasparren


Cela faisait trois ans que le premier conflit mondial, la Grande Guerre comme on l'appelait déjà, était terminé. Hasparren s'apprêtait à rendre hommage à ses 198 morts ou disparus et à ses 52 " gueules cassées ", tous ces mutilés, marqués à vie par ce qui reste l'une des plus effroyables tragédies du XXème siècle.
Des milliers de communes érigèrent des monuments pour perpétuer la mémoire des poilus. On inscrirait dessus les noms de ces soldats " Morts pour la France ". Hasparren eut le sien, ni plus beau, ni plus laid que d'autres car il répondait aux canons architecturaux et esthétiques de l'époque mais il fit la fierté de la commune car il fut entièrement financé par des dons et une petite subvention municipale.
Si aujourd'hui on songe à le déplacer, lors du choix de son emplacement en 1920, il ne faisait aucun doute qu'il devait occuper une place centrale. Le conseil municipal décida donc de l'ériger sur la Place des Tilleuls, en lieu et place de l'ancienne bascule ou " Poids public " qui fut démonté et reconstruit ailleurs.
Il coûta un peu plus de 51 000 F ce qui représentait une somme importante lorsque l'on sait que le budget primitif de la commune pour cette même année 1921 était de 89 025 F. Mais peu importait, le traumatisme était tel, les quatre années de conflit avaient été si dures pour tous que l'on ne pouvait regarder à la dépense.

La Grande Guerre

Les Haspandars furent mobilisés et rejoignirent leurs affectations comme des millions d'autres soldats (la France mobilisa dès le 2 août 1914, 3,6 millions d'hommes). Pour beaucoup, c'était la première fois qu'ils quittaient le village et ils se retrouvèrent sur la ligne de front, dans le nord de la France. Des Haspandars qui avaient émigré revinrent de leur exil américain, répondant aussi à l'appel de la mobilisation. Parmi ceux qui n'eurent pas à revenir, il s'en trouva qui s'associèrent à leur manière au malheur des familles ayant perdu un proche à la guerre dès la première année des combats. Ainsi Gratien Daguerre, émigré à Cuba vers 1894 et qui s'y était enrichi. Il fit deux dons de 1000 F chacun et demanda qu'ils soient distribués dans sa commune d'origine. On fit une liste des familles ayant perdu un de ses membres à la guerre et chacune reçut 10 F. Un autre émigrant, Martin Artieda résidant à Guayaquil en Equateur fit un don mensuel de 50 F de novembre 1915 à mars 1917. Cinq familles différentes furent sélectionnées chaque mois et reçurent chacune 10 F durant cette période.
Les nouvelles qui parvenaient du front n'étaient pas nombreuses : les familles recevaient du courrier et à la mairie, on affichait les télégrammes émanant du Ministère de la Guerre qui signalaient la position des différents régiments et leur engagement dans les combats. Les avis de décès et de disparition étaient transmis par le chef de corps au maire à qui l'on demandait d'annoncer la terrible nouvelle à la famille avec le plus grand ménagement (900 Français et 1300 Allemands mouraient chaque jour).
La première année de conflit fut la plus terrible : durant les six mois de guerre de 1914, 47 Haspandars furent tués, la plupart dans le département de l'Aisne. En 1915, la commune perdit 40 hommes, 33 en 1916, 35 en 1917 et 40 en 1918. Quatre autres soldats sont morts après l'armistice des suites de blessures de guerre ou de " maladies contractées aux armées ". Au total, 198 victimes qui laissèrent 11 veuves avec de deux à quatre enfants et 14 familles qui perdirent plus d'un membre.
Le bilan pour la France fut des plus lourds : 1 357 800 tués, 3,5 millions de blessés, 630 000 veuves et 1,1 million d'orphelins. Du côté allemand, les pertes étaient tout aussi édifiantes avec 2 millions de morts.

Le projet de monument aux morts
On imagine sans peine le traumatisme vécu par la population, une situation que connurent toutes les communes des pays belligérants. Le conseil municipal d'Hasparren du 15 décembre 1918 s'en émut et sur proposition du maire de l'époque, M. P. Broussain, décida " qu' un monument sera élevé sur une des places publiques de la commune pour transmettre à la postérité le souvenir des citoyens de Hasparren Morts pour la France Victorieuse pendant la Grande Guerre de 1914-1918 et séance tenante nomme une commission composée de conseillers municipaux à l'effet d'étudier cette question. "
La commission se mit au travail et décida de lancer une souscription publique au sein de la commune. Elle choisit également un architecte de Bayonne, M. A. Saint-Vanne pour piloter le projet. Les monuments de l'époque étaient proposés sur catalogue par diverses sociétés françaises et pouvaient se décliner en modèles de pierre d'origines diverses et les ornementations proposées pouvaient varier selon le budget dont disposaient les communes. Au lendemain de la guerre, le marché qui se présenta à ces marbriers, sculpteurs et artistes était juteux et de nombreuses petites entreprises virent le jour lorsque l'on commanda les premiers monuments aux morts de la guerre de 1914-1918. Les maisons qui avaient pignon sur rue depuis longtemps voyaient d'un mauvais œil cette concurrence nouvelle et elles n'hésitèrent pas à user de stratagèmes commerciaux pour conserver un grand nombre de commandes. De nombreuses polémiques apparurent sur l'esthétique et sur la qualité des monuments réalisés.
Il semble que dans plusieurs régions on n'ait pas hésité à faire appel à des entreprises allemandes qui proposaient des tarifs plus intéressants. Ce ne fut pas du goût de leurs concurrentes françaises qui rappelèrent avec force courriers et tracts que peu de temps avant " le boche " avait tué des compatriotes.

Le monument d'Hasparren

Pour le monument d'Hasparren, on fit appel à des entreprises locales (Bayonne, Hasparren et Cambo) mais sa qualité et ses dimensions allaient dépendre des sommes ramenées par la souscription publique lancée dans la commune mais aussi outre-Atlantique, parmi les Haspandars émigrés. On récolta à Hasparren 10 700 F, Gratien Daguerre, le riche tanneur de Gibara à Cuba fit don de 5 000 F, Jean-Pierre Choribit, adjoint au maire et qui possédait une tannerie à Chillán au Chili, put réunir 2 700 F parmi les Haspandars qui y travaillaient. Enfin, la colonie basque de Montevideo en Uruguay lança également une souscription pour les Haspandars morts à la guerre. Avec les intérêts divers, les placements en bons de la défense ainsi qu'une subvention municipale de 3 000 F, le total des sommes recueillies fut de 24 194 F. On espérait également recevoir une subvention de l'Etat.
Le 18 mars 1920, l'architecte A. Saint-Vanne transmit à la commission les plans et devis de trois projets en lui demandant de se déterminer pour l'un d'eux. Les deux premiers présentaient un monument en forme d'obélisque et seuls les ornements proposés les différenciaient, le troisième était une stèle en forme d'obus. Ce furent des considérations artistiques et financières qui guidèrent le choix de la commission. Elle choisit le premier projet qui était décrit ainsi par l'architecte concepteur :

" Autour du soubassement sont encastrées 10 stèles basques (3 devant, 3 derrière et 2 de chaque côté) possédant chacune un motif différent de décoration et au socle de chacune on pourrait inscrire les noms des 10 quartiers d'Hasparren. Sur le socle de l'obélisque et du côté de la façade principale, seulement serait en relief une croix basque.
La partie pyramidale de l'obélisque recevrait à son sommet une croix de guerre (décoration qui fut instituée au cours de la guerre en 1915), dans la partie inférieure les millésimes 1914-1918 avec au-dessous l'inscription :
Gerla handian
Hil diren (A ses enfants morts à la Grande Guerre, Hasparren reconnaissante)
Bere haurrei
Hazparne eskerdun
La hauteur du monument serait de 5,85m au-dessus du sol du trottoir actuel. "

L'architecte terminait en communiquant une estimation du prix selon que le monument serait exécuté en pierre d'Arudy, en pierre de Cambo, de Vilhonneur ou de Château-Gaillard.
La commission choisit la pierre d'Arudy pour l'obélisque, demanda de rajouter quatre marches qui seraient taillées dans de la pierre de Cambo et fit sculpter également un glaive et des palmes. Il convient ici de s'arrêter sur les symboles qui ornent ce monument. L'obélisque, dressée vers le ciel fait partie de la tradition des pierres levées et remonte aux temps les plus anciens. Il est signe de fécondité et fixateur d'esprit. Le glaive est un symbole militaire et la palme de laurier était un emblème de la gloire guerrière mais les palmes confèrent aussi une dimension religieuse à ce monument. En effet elles rappellent les habitants de Jérusalem accueillant Jésus avec des palmes et les martyrs morts pour la foi. Elles montrent donc la grandeur des soldats morts pour la Patrie.

La commission fit rajouter une grille pour protéger le monument et affirmer son caractère de lieu sacré et demanda que la croix basque figure dans une croix religieuse sculptée de type bas-navarraise qui, comme les stèles, s'inspirait de l'architecture funéraire basque.
Ce détail aurait pu avoir de fâcheuses conséquences car les projets de monuments devaient obtenir l'aval des autorités avant le démarrage des travaux. Un emblème religieux (la fameuse croix) devant figurer sur le monument, le Préfet ne valida pas les plans et devis d'Hasparren. Le sous-préfet demanda par courrier que le projet de monument soit mis en harmonie avec les instructions ministérielles et que les prescriptions indiquées pour l'érection de monuments aux morts soient observées.

Le conseil municipal fit appel de la décision au printemps 1921 et voulant inaugurer le monument pour le 11 novembre de la même année, passa outre en demandant à l'architecte de lancer les travaux. Il décida également de ne plus solliciter la subvention de l'Etat " attendu que la souscription publique a rapporté 27 000 F, que la subvention communale est de 3 000 F, que le devis est de 30 000 F et que la commune désire que ce monument soit entièrement son œuvre. "
Finalement le Secrétaire d'Etat aux Beaux-Arts - le plus tard très controversé Léon Bérard - confirma par courrier au préfet le refus d'autorisation attendu que le monument comportait un emblème religieux et qu'il serait érigé sur une place publique. Il se conformait ainsi à la jurisprudence suivie par le Ministère de l'Intérieur depuis le vote de la loi du 9 décembre 1905 déclarant la séparation de l'Eglise et de l'Etat. En effet, l 'article 28 de cette loi précise qu'il est interdit d'apposer aucun ou emblème religieux sur des monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépultures, dans les cimetières, des monuments funéraires ainsi que les musées ou expositions.
Mais ce courrier de refus qui est daté du 19 novembre 1921 fut rédigé trop tard : le monument d'Hasparren fut bien inauguré le vendredi 11 novembre 1921.

La cérémonie de l'inauguration du monument

Après trois ans de recherche de fonds et de tractations, le monument allait être dévoilé. On lança des invitations aux autorités : le sous-préfet déclina la sienne mais le sénateur Le Baillier vint, ainsi que les députés Guichenné, Choribit et Ybarnegaray et le Général commandant la subdivision de Bayonne. Sur le plan local, on invita les conseillers municipaux, le Dr Larraidy, les fonctionnaires, le curé doyen, le Supérieur des Missionnaires, le Directeur du Collège St Joseph et le Directeur du patronage.
Voici la description de la journée telle qu'elle avait été prévue par la commission et votée par le conseil municipal (M. Jean Larremendy avait succédé à M. Pierre Broussain décédé) :
" Mr le Maire porte à la connaissance du Conseil municipal que l'inauguration du monument élevé à Hasparren pour perpétuer le souvenir des enfants de la commune Morts pour la France pendant la Grande Guerre de 1914-1918 aura lieu le 11 novembre 1921 à 14h.
Il estime qu'il y a lieu de donner à cette cérémonie toute la solennité qu'elle comporte. La population sera invitée à prendre part à cette manifestation patriotique.
La Commission du monument a décidé que le cortège serait formé de la façon suivante :
Formation du cortège devant la Mairie à 14h.
Ordre du cortège
1er groupe
La clique de Hasparren (tambours et clairons avec drapeau)
Les élèves des écoles publiques
Les élèves des écoles libres

2ème groupe
Un gendarme
Les pupilles de la Nation (avec insignes)
Les mutilés de guerre (avec insignes et drapeau)
Les combattants

3ème groupe
Le Garde de ville en tenue
Les autorités civiles et militaires, les fonctionnaires

4ème goupe
Un gendarme
Le Public (les hommes)

5ème groupe
Le Public (les femmes)

Le cortège dans cet ordre se rendra à l'église où aura lieu la cérémonie religieuse. A l'issue de la cérémonie religieuse, le cortège dans le même ordre parcourra la Rue Montante, la Place du foirail et le Rue de la Mairie.
Pendant le défilé devant le Monument les enfants des écoles et les pupilles de la Nation déposeront sur les marches les fleurs dont ils seront porteurs ; ils seront ensuite rangés au fond de la place des tilleuls, le long de la maison Yaureguizahar. Les autorités et les fonctionnaires encadreront le monument. Les pupilles de la Nation, les mutilés et les combattants feront face au monument. Le public se placera dans les rues. "

La cérémonie d'inauguration se déroula ensuite de la manière suivante :

  • Bénédiction du monument.
  • Remise du monument à la Ville par le Président de l'Union des Combattants de Hasparren.
  • Acceptation par le Maire et allocution de celui-ci.
  • Appel des Morts par le Président de l'Association des Mutilés qui à la fin de l'appel prononcera les paroles suivantes : " Tous morts au champ d'Honneur ". Paroles qui seront répétées par tous les enfants.
  • Discours.
  • De Profundis.
  • Dislocation.
  • Lunch à la mairie pour les invités.

Les mutilés furent invités à se rendre à l'Hôtel de France où un banquet leur fut servi. On prépara un goûter pour les enfants ayant participé à la cérémonie. Quelques bouteilles de vin, de limonade et des gâteaux furent envoyées au patronage pour la clique. Les gendarmes ne furent pas oubliés : ils reçurent quatre bouteilles de Sauternes et une de St Honoré.

La cérémonie d'inauguration se déroula ensuite de la manière suivante :

  • Bénédiction du monument.
  • Remise du monument à la Ville par le Président de l'Union des Combattants de Hasparren.
  • Acceptation par le Maire et allocution de celui-ci.
  • Appel des Morts par le Président de l'Association des Mutilés qui à la fin de l'appel prononcera les paroles suivantes : " Tous morts au champ d'Honneur ". Paroles qui seront répétées par tous les enfants.
  • Discours.
  • De Profundis.
  • Dislocation.
  • Lunch à la mairie pour les invités.

Les mutilés furent invités à se rendre à l'Hôtel de France où un banquet leur fut servi. On prépara un goûter pour les enfants ayant participé à la cérémonie. Quelques bouteilles de vin, de limonade et des gâteaux furent envoyées au patronage pour la clique. Les gendarmes ne furent pas oubliés : ils reçurent quatre bouteilles de Sauternes et une de St Honoré.

Monument aux morts