2. L'ère industrielle au XXème siècle

Il est bon de préciser ici que, jusqu'à cette période, le travail est distribué dans la plupart des maisons de campagne où vivent des paysans-cordonniers. Le mari devient ouvrier chaque fois qu'il en la possibilité, son épouse fait de même, tandis que les grands-parents et les enfants assument une bonne part de la tâche commune. Le fabricant de son côté distribue tout le matériel nécessaire, il fait exécuter chez lui la coupe des morceaux de cuir devant former l'empeigne et se charge de la finition et de la vente du produit. On dit qu'à cette époque 2500 personnes travaillent peu ou prou pour la fabrication de chaussures.
Les premières machines arrivent à Hasparren entre les années 1898 et 1900. Elles sont mues tout d'abord par l'énergie fournie par des moteurs à pétrole, ensuite par des moteurs à vapeur, enfin et très rapidement par l'énergie électrique qui permettra l'essor de l'industrie. Les deux premières entreprises ainsi mécanisées sont celles des familles Salvat Amespil et Hiriart-Urruty. De cette époque à la Première Guerre Mondiale sept usines s'équiperont de cette manière. Le travail à domicile diminuera considérablement et les Haspandars apprendront ce qu'est le travail en usine. Seul le piquage des tiges se fera encore pour une bonne part, par des femmes travaillant chez elles . Pendant encore une cinquantaine d'années, on verra dans les rues, les ouvrières aux pas agiles portant dans les usines leur travail soigneusement enveloppé dans l' " oihal beltsa ". L'introduction des machines amena la division du travail et désormais ce n'était plus la même personne qui réalisait le soulier dans son entier.
La Première Guerre Mondiale stoppera l'essor de l'industrie et ce n'est qu'à la fin du conflit qu'elle reprendra sa progression. Avec les années, de véritables dynasties de fabricants de chaussures se formèrent par des mariages entre familles : Amespil, Daguerre, Landerretche et Hiriart-Urruty. Quelques cadres et ouvriers spécialisés viendront de Limoges et de Fougères. Trois cités ouvrières seront construites entre les années 1920 et 1930. Une coopérative ouvrière verra le jour. Hasparren pour sa chaussure et Mauléon pour son espadrille seront les deux cités enviées par tout le Pays Basque intérieur. Même si les salaires sont relativement modestes, ils sont grandement appréciés par les ouvriers qui, pour la plupart, possèdent quelques volailles, trois ou quatre têtes de bétail et un lopin de terre. Il s'agit donc de ressources qui viennent en complément de revenus déjà constants et qui permettent de faire face assez aisément à un train de vie qui este encore peu exigeant. Hasparren est donc devenu un vrai site industriel rythmé par les quatre appels journaliers de la sirène et la grande animation des rues, lors de l'entrée et de la sortie de ses usines.
Le paternalisme était une des caractéristiques de la profession ; à Hasparren, elle se manifesta par la création de cités ouvrières entre 1920 et 1930 (Cité SAFA, Cité La Pensée, Cité Larre et Cité ONA), d'une coopérative ouvrière dans les années 1930 (des épiceries avaient déjà existé dans les ateliers de cordonnerie au XIXème siècle) et par la faible syndicalisation des ouvriers. Durant l'entre-deux guerres, c'est l'usine Trolliet qui se développa le plus : elle était construite de façon révolutionnaire pour l'époque, fut la première à introduire les méthodes de gestion et figurait parmi les plus importantes entreprises d'Aquitaine. La mécanisation dans les usines était encore plus poussée et le travail encore plus parcellisé, notamment pour les piqueuses.
Ce que l'on pourrait appeler la première période de Hasparren, ville industrielle moderne, se terminera cependant dès les années 1935-36. En ces temps-là, l'évolution et parfois l'agitation sociales, secouent tout le pays. Hasparren ne connaît pas encore de grève mais il y est question de création de syndicat ouvrier et de réduction d'horaires. A Hasparren, les salaires étaient réputés comme bas : en 1920 déjà, les meilleurs ouvriers gagnaient 3frs par jour et les apprentis ou travailleurs à domicile, 0,5fr. Le 1er septembre 1936 a lieu la signature de la première convention collective de travail de l'industrie de la chaussure de Hasparren. Sa lecture ne manque pas de surprendre. Les salaires minimums horaires sont fixés à 1,25fr pour les garçons et les filles de 14 ans, à 3,25frs pour les hommes de 21 à 60 ans et à 2,30frs pour les femmes de la même tranche d'âge. Il y est prévu aussi que le salaire de l'ouvrier atteignant 70 ans et gagnant jusque là 3,25frs ne sera plus que de 2frs de l'heure. Il y est précisé encore que lors de l'application de la loi des 40 heures, les ouvriers toucheront le salaire qui était le leur pour un horaire de 48 heures.
Quand arrive la guerre de 1939-45, deux ou trois usines connaissent déjà quelques difficultés de trésorerie. Durant ces cinq années et même si la demande est très forte, la plupart des entreprises connaissent des difficultés d'approvisionnement. C'est une période très difficile pour tous mais à partir de 1945 toute l'industrie semble bien repartie. La production atteint les 4000 paires de chaussures par jour et les souliers sont expédiés vers toute la France et ses colonies. Cette belle activité suscite l'installation de cinq représentants locaux de fournitures de matières premières diverses et, quelques années plus tard, la création de quatre entreprises nouvelles qui fabriqueront des cartonnages, trépointes, premières de montage et talons. Une importante usine de chaussures verra également le jour ; elle occupera jusqu'à trois cents ouvriers. A ce moment-là, l'effectif total du personnel des usines est de 1200 ouvriers et employés. Dans les années cinquante, Hasparren compte une quinzaine d'usines qui employaient environ 1300 personnes : Amespil, Bioy, Bréchoire-Madré, Espil, Haulon, Larre, Minvielle, Mongour, Telletchea, Trolliet …dont cinq appartiennent à des membres issus d'une même famille. Une nouvelle cité ouvrière fera son apparition en 1954 : la cité St Martin Harriague au quartier Larrondoa qui fut implantée sur des terrains acquis par la municipalité pour répondre à une demande de logements ouvriers.
En 1950 des difficultés apparaissent. Les ouvriers revendiquent les mêmes salaires que ceux accordés dans les autres centres de chaussures et, à la surprise générale, bon nombre d'entre eux participe à une grève symbolique d'une heure. En 1953 l'agitation sociale secoue toute la France. A Hasparren le travail devient plus rare. Certaines entreprises perdent leurs marchés avec l'Algérie qui représentaient pour elles un ou deux mois d'activité. Deux d'entre elles cesseront rapidement leur activité. Les choses s'étant arrangées tant bien que mal, on parviendra sans trop d'acoups jusqu'en 1963. Cette année-là, l'accord concernant les salaires ne pourra pas être conclu, il en résultera une grève générale qui touchera toutes les entreprises et durera huit jours. Cette grave crise motivera une étude de la situation de l'industrie de la chaussure à Hasparren diligentée par la Chambre de Commerce et d'Industrie de Bayonne. Des enquêtes sont menées auprès des chefs d'entreprises encore existantes, du Comité d'expansion économique et des banquiers. Il en résultera que les causes supposées sont aussi nombreuses que diverses.

Usines en 1963 et effectifs

Source : Archives municipales
De 1965 à 1967 quatre usines fermeront leurs portes. L'effectif total des entreprises encore en

Usines en 1972 et effectifs

activité n'est plus que de 700 ouvriers. Face à cette évolution catastrophique la population tout entière va se mobiliser. Le 10 mai 1967 une journée d'action pour la défense de l'emploi est organisée. Elus, artisans, commerçants, paysans, patrons et ouvriers y participent. Après un premier rassemblement à Hasparren, 2000 Haspandars prendront la direction de Bayonne où ils défileront dans les rues avant de se rendre devant la sous-préfecture où leurs délégués seront reçus par le sous-préfet. Pendant une quinzaine d'années six ou sept fabriques parviendront tant bien que mal à maintenir leur activité. Certaines d'entre elles changeront de propriétaire à plusieurs reprises avant leur fermeture définitive. De 1951 à 1968 ce sont donc dix usines qui fermeront leurs portes supprimant ainsi 900 emplois.
(Emplois en usine et à domicile)

Usines en 1972 et effectifs

Source : Archives municipales
Aux causes particulières (concurrence étrangère, faible concentration, concurrence interne et inadaptation technique) qui ont provoqué la disparition des premières entreprises se sont ajouté plus tard celles de la grande crise qui a frappé indifféremment la plupart des industries traditionnelles. Parmi toutes ces industries, celles de la chaussure et du textile sont toujours citées comme étant celles ayant été frappées les premières et le plus durement. Hasparren en a fait la triste expérience.
En 1987, une centaine de personnes travaillaient encore dans la chaussure et en 1995 il n'existait plus qu'une seule fabrique de chaussures à Hasparren pour rappeler quelle fut l'industrie qui durant une période d'environ quatre-vingts années fut la cause principale de la prospérité de notre cité.

BIBLIOGRAPHIE CONSULTEE POUR CET ARTICLE

BALANDE, Danièle, L'aménagement de l'industrie de la chaussure dans le Labourd et la Basse-Navarre, T.E.R. Université de Bordeaux, Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Institut de Géographie, 1969, 90 p.
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GOYHENETCHE, Manex, Histoire générale du Pays Basque - Le XIXème siècle : 1808-1914, Tome V, Donostia, 2005, 359 p.

LABORDE, Pierre, Le Pays Basque d'hier et d'aujourd'hui (Labourd, Basse Navarre, Soule), Donostia, Ed. Elkar, 1983, 381 p.

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MACHOT, Pierre, Pyrénées-Atlantiques : Les activités industrielles au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, T.E.R. d'Histoire, Université de Pau, 1978, 196 p.

PAGOLA, Manex, Culture basque et urbanisation à Hasparren : étude ethnologique. Bayonne, Ed. de l'auteur, 1996, 234 p.

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